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Tim Friede n'avait pas le moral au lendemain des attentats du 11 septembre 2001: c'est ce qui l'a poussé à descendre dans son sous-sol où il s'est laissé mordre par deux des serpents les plus mortels au monde. Quatre jours plus tard, il sortait du coma.
"Je sais ce que ça fait de mourir d'une morsure de serpent", déclare l'Américain de 57 ans à l'AFP lors d'un appel vidéo depuis son domicile de Two Rivers, petite ville du Wisconsin.
Cela aurait pu le dégoûter à vie des serpents, il s'est simplement promis d'être plus prudent à l'avenir.
De 2000 à 2018, il s'est laissé mordre par des serpents venimeux à plus de 200 reprises, et s'est injecté lui-même leur venin plus de 650 fois.
Il s'est infligé ces expériences extrêmement douloureuses pour viser une immunité totale contre leurs morsures, espérant contribuer à mettre au point un meilleur antivenin.
Cette pratique consistant à acquérir une immunité vis-à-vis des substances toxiques via une ingestion de doses croissantes, est appelée mithridatisme, en référence à Mithridate le Grand (113-63 avant JC). Selon la légende, ce roi grec, redoutant d'être empoisonné par ses ennemis, a ingurgité des quantités croissantes d'arsenic dans le but de s'y accoutumer.
L'ex-mécanicien de camions, sans diplôme universitaire, a longtemps lutté pour être pris au sérieux par les scientifiques. Au bout de 25 ans, des recherches basées sur ses expériences ont paru en mai dans la revue Cell.
Elles montrent que les anticorps de son sang offrent une protection contre de nombreuses morsures de serpents, et leurs auteurs espèrent aujourd'hui que l'hyperimmunité acquise par Tim Friede permettra de mettre au point un antivenin universel.
Les antivenins actuels ne fonctionnent que pour un ou quelques-uns des 600 serpents venimeux recensés.
Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), les morsures de serpents tuent quelque 138.000 personnes par an et entraînent amputations ou d'autres handicaps pour 400.000 autres. Des chiffres sous-estimés, les victimes vivant généralement dans des régions pauvres et isolées.
- "Douloureux à chaque fois" -
Sa première morsure à l'âge de cinq ans, par une inoffensive couleuvre, reste un souvenir vif. "J'ai eu peur, j'ai pleuré, je me suis enfui", raconte-t-il. Mais il a alors commencé à ramener des reptiles à la maison, cachés dans des bocaux de cornichons au grand désarroi de sa mère.
Est née une fascination: il a appris, grâce à un cours, à en extraire leur venin.
La méthode de fabrication de l'antivenin n'a guère changé en 125 ans: des petites doses du venin tiré des serpents sont injectées à des chevaux ou des moutons, qui produisent alors des anticorps pouvant être utilisés comme antivenin.
Mais celui-ci ne sera efficace que pour une espèce particulière et certains des anticorps pourront provoquer de graves effets secondaires, telles qu'un choc anaphylactique.
C'est alors que Tim Friede a décidé de devenir son propre cobaye. Il s'est d'emblée offert aux spécimens les plus venimeux: cobras, taïpans, mambas noirs, serpents à sonnette. "C'est douloureux à chaque fois", confie-t-il.
- "Fier" -
Longtemps ignoré par les scientifiques, il a finalement été contacté en 2017 par l'immunologiste Jacob Glanville.
A la recherche, pour ses travaux, d'un "chercheur sur les serpents maladroit qui aurait été mordu accidentellement à plusieurs reprises", M. Glanville raconte à l'AFP être tombé sur une vidéo des exploits à hauts risques de M. Friede.
"Vous allez trouver cela gênant, mais j'adorerais mettre la main sur un peu de votre sang", lui annonce l'immunologiste lors de leur premier échange.
L'antivenin objet des recherches de M. Glanville parues dans Cell, comporte deux anticorps provenant du sang de M. Friede, ainsi qu'un médicament appelé varespladib qui inhibe les toxines.
Il a fourni aux souris une protection totale contre 13 des 19 espèces de serpents testées, et partielle pour six autres.
Tout en louant l'étude, Timothy Jackson, de l'Australian Venom Research Unit, s'interroge sur la nécessité d'impliquer un être humain, alors qu'il existe des anticorps synthétiques.
L'entreprise Centivax, créée en 2019 par M. Glanville, développe notamment un antivenin universel qui pourrait être vendu un jour dans un stylo auto-injecteur pré-rempli.
Aujourd'hui employé par Centivax, M Friede se dit "fier" d'avoir fait progresser la médecine, mais regrette de ne plus pouvoir s'injecter de venin - un éventuel accident serait imputé à l'entreprise. "Cela me manque", dit-il.
S.Danek--TPP