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Etudiant, Abou Fofana a connu le tumulte incessant d'Abidjan, capitale économique ivoirienne de quelque 6 millions d'habitants. Le temps d'obtenir un BTS agricole et ce fermier de 33 ans est retourné vivre dans son village natal de l'ouest: Sangouiné, 63.000 âmes et des montagnes.
L'AFP a rencontré plusieurs jeunes qui, à rebours de l'exode rural, ont choisi de se réinstaller dans l'ouest ivoirien, une des zones les plus pauvres de ce pays où 75% de la population a moins de 35 ans.
Sangouiné est situé entre Man, la plus grande ville de l'ouest et Danané, proche de la Guinée. Dans cette région particulièrement touchée par les crises politiques meurtrières ayant miné la Côte d'Ivoire dans les années 2000, le réseau routier, en travaux par endroits, reste difficilement praticable.
Pas de quoi décourager Abou Fofana qui s'est installé il y a sept ans sur le terrain de deux hectares que son père lui a légué.
Marié et père d'un enfant, il y élève des volailles nourries de maïs local, dans une ferme alimentée uniquement par l'énergie solaire.
"Abidjan, j'y suis allé pour acquérir de la connaissance mais ma base et ma vision, c'est vraiment d'aider cette population rurale", explique-t-il à l'AFP.
"Quand je suis venu en 2019, il n'y avait pas d’éleveurs expérimentés dans la région, dans notre département", se souvient-il.
Son chiffre d'affaires a plus que quadruplé depuis qu'il s'est lancé, autour de 40 millions de francs CFA l'an dernier (60.000 euros).
Sur son temps libre, Abou Fofana forme des agriculteurs, fait partie de la chefferie traditionnelle, préside une association de jeunesse...
Une "jeunesse qui est ambitieuse, occupée, ça peut l'éloigner des crises, de la colère, de la frustration", dit-il, sans toutefois s'inquiéter pour la présidentielle d'octobre, malgré les crises qui ont secoué la région dans le passé.
Fin 2010 - début 2011, l'élection de l'actuel président Alassane Ouattara contestée par son rival historique Laurent Gbagbo avait plongé la Côte d'Ivoire dans des mois d'affrontements aux quelque 3.000 morts, dont un tiers dans l'ouest.
Mais "nous avons encore assez de potentialités pour que les jeunes puissent venir" et ainsi "rendre un service à cette région", assure-t-il.
Zephirin Foro confirme. Lui aussi a quitté Abidjan pour s'installer à Sangouiné et se dit "satisfait de sa vie professionnelle et personnelle".
Il a ouvert il y a une dizaine d'années des débits de boissons et alimente les maquis du coin, des bars informels.
"C'est une région fertile, tout marche. Souvent on entend la jeunesse qui dit qu'il n'y a pas de travail, alors qu'il y a beaucoup de choses à faire ici", assure-t-il.
- Pauvreté -
Dans cette zone agricole, on vit majoritairement de la culture du riz, du manioc et du cacao, dont le pays est le premier producteur mondial.
La région du Tonkpi, qui abrite Sangouiné, reste l'une des plus pauvres de Côte d'Ivoire avec la moitié des habitants qui vivent avec moins de 30.700 francs CFA par mois (46,8 euros), même si le chiffre est en recul d'environ 20% par rapport à 2018 selon les statistiques officielles.
A quelque 200 km, dans la commune agricole de Bloléquin, Danielle Massandjé Bakayoko, 35 ans, a installé son atelier de menuiserie en 2023 après avoir, elle aussi, étudié et travaillé à Abidjan en tant qu'assistante de direction.
"Je n'ai plus envie de repartir à Abidjan (...) à part pour des vacances, ou des raisons familiales", confie-t-elle. "Les sorties sont coûteuses", regrette-t-elle. A Bloléquin "avec 2.000 francs (3,20 euros), tu manges convenablement".
Un de ses apprentis, Lanciné Bamba, 22 ans, ne connaît pas la capitale économique. "Ca ne m'attire pas", lance-t-il, "quand j’aurais fini, ce que je compte faire c’est ouvrir mon propre atelier", ici ou dans une autre ville de l'ouest.
Autour de Mme Bakayoko, "beaucoup de jeunes hommes et femmes entreprennent dans la restauration, l’élevage, le commerce", constate-t-elle, "la région est en train de se reconstruire".
En parallèle de son travail, elle préside l'association de menuisiers qu'elle a créée et occupe un siège de conseillère régionale.
Le ministère de la Jeunesse a annoncé en 2023 l'ouverture de centres d'aide à l'entrepreneuriat dans cinq villes du pays, dont Man.
V.Nemec--TPP