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Quelque 300 grandes entreprises françaises délocalisent à l'étranger chaque année plus de 10 milliards d'euros de profits réalisés en France, grevant les recettes fiscales à hauteur de 3,7 milliards d'euros et les revenus des salariés, selon une étude de l'Observatoire européen de la fiscalité diffusée jeudi.
Ces travaux de l'organisation dirigée par l'économiste Gabriel Zucman sont publiés en pleine discussion parlementaire sur le budget et pourraient nourrir le débat sur les modalités de taxation des entreprises.
Les quatre auteures de l'étude s'appuient sur des données "inédites" issues de 314 entreprises multinationales françaises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 750 millions d'euros sur la période 2016-2022.
Depuis 2016, les entreprises doivent renseigner auprès des autorités fiscales les profits réalisés dans le monde entier ce qui est une "révolution pour la recherche dans ce domaine", détaille Alice Chiocchetti à l'AFP, l'une des auteures de l'étude, chercheuse à la Paris School of Economics.
D'après cette étude, les multinationales françaises déclarent 18% de leur bénéfice avant impôts réalisé en France hors du pays, soit 10,3 milliards d'euros par an entre 2016 et 2022, principalement dans des paradis fiscaux comme le Luxembourg, la Suisse, Singapour, les Pays-Bas et Hong-Kong.
Cette pratique de délocalisation des profits engendre un manque à gagner pour les recettes fiscales estimé à 3,7 milliards d'euros par an sur la même période, ce qui correspond à 7% du total de l'impôt sur les sociétés.
Pour parvenir à cette estimation globale, "on fait l'hypothèse que si ces profits étaient relocalisés en France, ils seraient taxés au même taux qu'actuellement", et il s'agit d'une "hypothèse assez conservatrice, car on sait qu'elle bénéficient de crédits d'impôts qui leurs permettent d'avoir des taux effectifs faibles" par rapport au taux normal d'imposition, détaille à l'AFP Alice Chiocchetti.
Le phénomène est très concentré avec près de 50% des profits délocalisés qui concernent les 15 plus grandes entreprises de l'échantillon selon l'étude, et il se traduit par divers mécanismes d'optimisation fiscale, par exemple la localisation d'actifs de propriété intellectuelle (comme les brevets, NDLR) dans des pays à faible fiscalité afin d'y transférer des profits.
- Partage du bénéfice -
La pratique a des conséquences sur la redistribution du bénéfice aux salariés car les primes de participation sont calculées en fonction du bénéfice réalisé en France.
"Pour les salariés des 314 entreprises de l'échantillon travaillant pour une filiale identifiée comme délocalisant des profits (soit 800.000 salariés sur 2 millions au total), cela engendre une perte de revenus comprise entre 357 euros et 919 euros par an en moyenne sur la période, selon les deux hypothèses retenues", précise Mme Chiocchetti.
Et ce sont les travailleurs aux plus faibles salaires qui sont le plus affectés, souligne l'étude.
Fin novembre, plus de 500 salariés et ex-salariés du groupe laitier Lactalis avaient déposé plainte auprès du Parquet national financier (PNF), considérant être victimes d'une fraude fiscale de leur employeur.
L'entreprise avait réglé 475 millions d'euros au fisc en décembre 2024, et les salariés lui reprochent d'avoir minoré son bénéfice et amputé les primes de participation versées aux salariés. D'autres groupes sont également visés par des accusations similaires.
Les entreprises françaises qui délocalisent leurs profits "ne sont pas les plus agressives sur le plan fiscal, et les entreprises américaines semblent être de loin celles qui font le plus d'optimisation fiscale", note Alice Chiocchetti.
L'une des pistes soulevée dans l'étude consisterait à prendre en compte la "profitabilité mondiale" de ces multinationales pour calculer le partage de la valeur.
D.Kovar--TPP