The Prague Post - Dans les métiers précaires, un #MeToo plus difficile, avec moins d'écho

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Dans les métiers précaires, un #MeToo plus difficile, avec moins d'écho
Dans les métiers précaires, un #MeToo plus difficile, avec moins d'écho / Photo: Valentine CHAPUIS - AFP

Dans les métiers précaires, un #MeToo plus difficile, avec moins d'écho

"On avait besoin de travailler, on se taisait." Elles sont caissières, ouvrières agricoles, femmes de ménage, secrétaires... et, comme beaucoup de femmes sur leur lieu de travail, ont vécu des violences sexuelles. Mais leur #MeToo à elles peine à être entendu.

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Marocaine de 42 ans, Yasmina Tellal a travaillé six ans dans la récolte et le conditionnement de fruits et légumes dans le sud de la France.

"Dès le départ, ils ont instauré un système de peur. Ils venaient nous embrasser pendant la pause, nous toucher ici et là, nous inciter à accepter 300 euros pour coucher avec eux", décrit Mme Tellal à l'AFP.

Arrivée d'Espagne en 2011 avec une promesse d'embauche en France dans une société d'intérim espagnole, elle vise un contrat d'un an au salaire minimum en France (environ 1.800 euros bruts), logée et nourrie.

Mais rien ne se passe comme prévu. "J'étais payée 400 euros environ, parfois moins, je devais me débrouiller pour le loyer et les conditions de travail étaient inhumaines", se souvient-t-elle.

"Un jour, alors que je suis en voiture avec mon responsable, il s'arrête sur une aire de repos, attrape ma main et la met dans... son truc", peine à articuler, plus de dix ans plus tard, Mme Tellal.

"Quand tu n'as pas d'argent, tu es piégée, tu es obligée de rester et de la fermer", murmure-t-elle.

En 2015, elle commence à ressentir des vertiges, des paralysies... Les médecins lui diagnostiquent une sclérose en plaque, apparue, selon elle, à cause de tous ces traumatismes.

"Ils ont cassé ma vie", dit Mme Tellal, pour qui la maladie a été le déclic pour porter son combat devant la justice "car je n'avais plus rien à perdre".

En 2021, le couple à la tête de la société espagnole, aujourd'hui en liquidation, a été condamné à cinq ans de prison dont trois avec sursis, pour travail dissimulé mais pas pour traite d'êtres humains, que son avocat Me Yann Prevost avait plaidé.

Le volet des violences sexuelles n'a, lui, même pas été abordé. L'ex-travailleuse agricole a obtenu en 2023 plusieurs dizaines de milliers d'euros de dommages et intérêts, une somme confirmée en appel en juin 2025.

Décrite comme une "lanceuse d'alerte" par Me Prevost, Yasmina Tellal fait un peu figure d'exception dans le panorama des femmes victimes de violences sexuelles.

En France, 83% de ces affaires seraient classées sans suite et jusqu'à 94% dans les cas de viols, comme s'en est alarmé mi-septembre le Conseil de l'Europe.

- "Mur du silence" -

Combien sont-elles ces femmes employées en bas de l'échelle, mal payées, parfois dépaysées, souvent en situation affective fragilisée, divorcées ou mères célibataires, harcelées ou agressées par leurs patrons, leurs collègues ou leurs clients ?

On est loin ici des actrices, écrivaines, journalistes qui à Hollywood ou en France ont, malgré leur notoriété, déjà eu tant de mal à briser l'omerta ces dernières années.

"Ce sont des personnes qu'on ne voit pas, elles n'arrivent souvent même pas dans les cabinets d'avocats", répond Me Jessica Sanchez, une avocate bordelaise spécialisée dans le droit social. "Il faut un courage fou (...) et il faut en avoir les moyens", poursuit-elle.

La première question qu'elles se posent, c'est : "Comment je fais pour ne pas perdre mon travail, parce que sans ça je ne peux pas payer mon loyer, nourrir mes enfants, etc", explique Tiffany Coisnard, juriste chargée de mission à l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT).

Si on rajoute au manque de ressources financières et sociales le fait de travailler sans titre de séjour ou de dépendre d'un emploi pour le conserver, "se rendre visible dans le cadre d'une dénonciation ou d'un procès" devient presque impossible, appuie la chercheuse au CNRS (Centre national de recherche scientifique) Pauline Delage, spécialisée dans les luttes et violences de genre.

Il y a en France très peu de données chiffrées sur les violences sexuelles au travail, héritage du "droit de cuissage" de la première révolution industrielle, comme l'a écrit la sociologue Marie-Victoire Louis.

Le dernier chiffre officiel date de 2014 quand le Défenseur des droits soulignait qu'une femme sur cinq déclarait avoir été confrontée à une situation de harcèlement sexuel au cours de sa vie professionnelle.

Depuis, une étude de l'Ifop pour la Fondation Jean Jaurès et la Fondation européenne d'études progressistes réalisée en 2019 sur quelque 5.000 femmes en Italie, Espagne, France, Allemagne, Grande-Bretagne, a révélé que 60% des Européennes ont été victimes d'une forme de sexisme ou de harcèlement sexuel au travail au cours de leur vie professionnelle et que 11% ont déjà eu un rapport sexuel "forcé" ou "non désiré".

Parmi elles, relève l'étude, "seule une très faible minorité (...) parvient à briser le mur du silence, qui paralyse tout particulièrement les femmes âgées ou ne disposant pas d'un niveau de vie leur permettant de prendre le risque d'un conflit avec leur hiérarchie".

- "Tellement normalisé" -

"Le harcèlement sexuel au travail est tellement normalisé et intériorisé comme un risque inhérent à leur métier que les femmes ont beaucoup de mal à mettre un terme dessus", souligne Tiffany Coisnard de l'AVFT.

Pendant des mois, Marie (prénom changé), secrétaire dans un cabinet médical en région parisienne, a refoulé le harcèlement sexuel et le viol qu'elle a subis de la part d'un de ses patrons médecins.

Lors de son recrutement en 2020, après un déménagement et une séparation difficile, le médecin lui fait comprendre qu'il y a "une super ambiance au cabinet, qu'ils font souvent des after work tous ensemble. Donc moi, petite provinciale, ça me faisait rêver", dit cette mère de famille de 42 ans.

Rapidement s'installent des "caresses dans le dos, des ouvertures de soutien-gorge à travers les vêtements, des blagues sexistes", poursuit-elle. "Je savais que ce n'était pas normal mais je me disais +ce n'est pas grave+, j'étais dans le déni." Jusqu'au jour du viol, dont elle est encore incapable de parler cinq ans plus tard.

"Ma réelle prise de conscience c'est quand il y a eu un comportement déplacé avec une de mes collègues, beaucoup plus jeune que moi. Je me suis rendu compte que si je ne parlais pas, j'étais en fait complice de tout ce qui se passait au sein de la clinique", explique-t-elle.

En arrêt maladie depuis, Marie a réussi à franchir la porte d'un commissariat pour porter plainte en février 2024. "Ça m'a pris du temps car j'avais peur de ne pas être crue. Comment pourrait-on me prendre au sérieux alors que moi-même, je n'avais pas été capable de reconnaître ce qui m'était réellement arrivé ?"

Dans les commissariats, les plaintes pour violences sexuelles au travail sont "très peu nombreuses" comparées à la masse de plaintes pour violences sexuelles dans le couple, résume pour l'AFP une source policière à Bordeaux (sud-ouest).

Si cela reste une épreuve supplémentaire pour la victime, l'accueil des policiers, selon cette source, "a évolué" : "Maintenant, on fait attention. On isole un peu la personne (...) et on prend soin de la rassurer. Il y a une fiche réflexe de choses à ne pas dire, à ne pas faire".

"Après, tu peux effectivement tomber sur des bourrins et peu importe le sujet, que ce soit les femmes, les hommes, ils n'ont aucune compassion."

- "Pas grave" -

Théoriquement, les victimes doivent pouvoir signaler ces comportements à leur employeur, à la médecine du travail, aux représentants du personnel et aux organisations syndicales.

Mais, là aussi, l'AFVT estime que les syndicats "ne sont pas assez saisis".

Pour une partie d'entre eux, note Mme Coisnard, "il y a une posture qui est de dire (...): on a toujours lutté contre les licenciements donc on ne va pas serrer la main d'un employeur au moment de licencier un collègue, quand bien même il a été dénoncé pour harcèlement sexuel."

Les syndicats Force ouvrière (FO) et Confédération générale des travailleurs (CGT), eux-mêmes confrontés à de telles affaires en interne, relèvent que les choses ont changé.

"Probablement qu'il a pu exister, il y a quelques années, l'idée que la cause syndicale prévalait sur les cas particuliers", convient auprès de l'AFP Béatrice Clicq, secrétaire confédérale en charge des violences sexistes et sexuelles (VSS) à FO.

En février, la branche Finistère (ouest) de cette organisation a été condamnée aux prud'hommes notamment pour harcèlement et agression sexuels qui ont démarré en 1998 pour une des plaignantes. Le syndicat a fait appel.

"Il y a une prise de conscience quand même globale", poursuit Mme Clicq. "Ce qui pouvait être toléré il y a 15 ans ne l'est plus aujourd'hui", confirme Myriam Lebkiri, qui occupe la même fonction à la CGT.

Lors de leur grève de 22 mois entre 2019 et 2021, les femmes de chambre de l'hôtel Ibis Batignolles à Paris ont obtenu une amélioration de leurs salaires et conditions de travail.

Les VSS soulevées lors du mouvement ont en revanche eu peu d'écho. Et pourtant.

Figure de proue du mouvement puis députée LFI (2022-2024), Rachel Keke, qui garde un lien étroit avec ses anciennes collègues, énumère: "Entre nous, on se dit tout. +Un client m'a accueilli nu, un autre m'a montré ses fesses, il m'a proposé telle somme pour coucher avec lui+."

Mais parler haut et fort ? "On nous fait rapidement comprendre que ça ne sert à rien, que de toute façon ce n'est pas grave ce qu'il nous arrive. C'est toujours le client qui est protégé", lance Mme Keke, 51 ans, confiant avoir elle-même subi une agression sexuelle de la part d'un client qui lui a touché les seins.

"Ce genre de situation, ça se termine toujours comme ça, par de simples excuses de la direction et puis c'est tout", soupire Sylvie Kimissa, une de ses anciennes collègues épuisée par une longue journée à changer des draps, faire des lits, frotter, aspirer.

Mère célibataire de trois enfants, cette Congolaise a été témoin de plusieurs agressions sexuelles depuis qu'elle a commencé en 2012. "Mais voilà, on n'a pas le choix que de bosser et bosser."

Contacté par l'AFP, le groupe Accor, propriétaire de l'établissement parisien, indique que le "management de l'hôtel a changé récemment ainsi que le propriétaire" et qu'à leur connaissance "aucun cas de harcèlement ou d'agression au sein de cet hôtel n'a été signalé sur les derniers mois".

- DSK -

Pour Maud Descamps, formatrice spécialisée dans la prévention du harcèlement sexuel dans le milieu hôtelier, "toutes les gammes de l'hôtellerie sont touchées".

"La chambre est un lieu de risque (...) et le terreau de tout ça ce sont quand même des conditions de travail très précaires, souvent en sous-traitance, ce qui dilue les responsabilités", explique-t-elle.

La formatrice estime que le phénomène des violences sexuelles dans l'hôtellerie "continue d'être minimisé, parce que c'est un caillou énorme dans la chaussure (...) et plus on monte en gamme et plus c'est +touchy+ de gérer les cas avec les clients qui ont un très très fort pouvoir d'achat".

Un triste constat 14 ans après "l'affaire DSK". Accusé par une femme de chambre guinéenne, Nafissatou Diallo, d'agression sexuelle dans sa suite de l'hôtel Sofitel à New York, le patron du FMI de l'époque et favori des sondages pour la présidentielle de 2012 en France, Dominique Strauss-Kahn, avait été contraint à la démission. L'affaire s'était close fin 2012 par un accord financier confidentiel.

Depuis, le mouvement #MeToo est passé par là.

La parole des femmes est davantage entendue, comme cela a pu être le cas l'année dernière dans le milieu hospitalier en France, même si elle reste "beaucoup moins médiatisée" dans les métiers précaires, constate l'AFVT.

"Quand on est victime, la pression sociale est toujours très compliquée à porter et le mécanisme de honte et de culpabilité encore très présent", déplore Me Giuseppina Marras.

Cette avocate basée à Amiens (au nord de Paris) a défendu en mars 2025 une ancienne employée de rayon dans un supermarché de la région, à Flixecourt, qui gagnait 900 euros par mois.

L'enquête avait débuté en 2016 après une tentative de suicide de sa cliente, désespérée de constater que ses collègues défendaient inconditionnellement le patron qui l'avait violée et agressée sexuellement à de nombreuses reprises.

L'ancien directeur du supermarché a été condamné à 10 ans de prison par la cour d'assises de la Somme. "Une différence de traitement judiciaire nette de ces affaires par rapport à il y a une dizaine d'années", note Me Marras qui se souvient avoir alors défendu un patron accusé de viols sur salariées qui était "ressorti avec du sursis intégral".

T.Musil--TPP