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                Lorsque la femme de Lawan Mustafa, enceinte de neuf mois, s'est réveillée en sang au milieu de la nuit, elle a supplié son mari de ne pas se rendre à l'hôpital.
Malgré la présence d'une base militaire pleine de soldats stationnés à la périphérie de Magumeri, dans le nord-est du Nigeria, la ville est connue pour être infestée de jihadistes la nuit, ainsi que de milices anti-jihadistes qui auraient pu considérer Mustafa comme un suspect.
Le Nigeria est le pays le plus dangereux au monde pour accoucher, avec un taux de mortalité maternelle de 993 pour 100.000 naissances, selon l'Organisation mondiale de la santé.
Les infrastructures hospitalières sont vieillissantes, de nombreuses zones rurales sont dépourvues d'hôpitaux, les professionnels de santé mal rémunérés sont nombreux à quitter le pays et ceux qui restent multiplient les grèves pour réclamer le paiement de leurs arriérés de salaires.
Dans le nord-est, en proie à une insurrection jihadiste qui dure depuis 16 ans, de nombreuses femmes ne parviennent jamais à se rendre à l'hôpital, bloquées à domicile par des routes trop dangereuses pour circuler, des postes de contrôle militaires pointilleux et des couvre-feux interdisant les déplacements.
"J'essayais de la rassurer, car nous ne pouvions absolument pas sortir", raconte à l'AFP Lawal Mustafa, 35 ans et père de cinq enfants.
Il est finalement parti vers 4h30 du matin, l'heure à laquelle les fidèles musulmans commencent à se lever pour la première prière du matin, mais il était trop tard: sa femme, Ummanim, et leur bébé sont morts à l'hôpital.
Même si le taux de mortalité maternelle a régulièrement baissé au cours de la dernière décennie, les 75.000 décès maternels enregistrés chaque année dans le pays représentent un quart de tous les décès de ce type dans le monde.
Les causes sont multiples, selon les experts. Malgré les vastes richesses pétrolières du pays, plus de 60% des habitants vivent dans la pauvreté, estime la Banque mondiale. Les coutumes culturelles peuvent limiter l'accès des femmes aux contraceptifs, ainsi que leur capacité à voyager en dehors de leur village, en particulier dans le nord conservateur.
Les enfants ne sont pas épargnés: selon la Banque mondiale, le Nigeria a le second taux de mortalité infantile le plus élevé au monde, juste derrière son voisin le Niger.
- Route bloquée -
L'insurrection jihadiste dans le pays, déclenchée par le soulèvement de Boko Haram en 2009, ne fait qu'aggraver la situation.
"Vous voulez qu'une patiente se rende dans un établissement éloigné, mais elle pourrait se demander: +Et si je me faisais enlever sur la route ?+", explique Ekeh Chizoba, un responsable de l'ONG International Rescue Committee (IRC), qui constate une augmentation des signalements d'enlèvements cette année.
Les professionnels de santé peuvent également être des cibles de choix pour les enlèvements, selon son collègue Saidu Liman, ce qui ajoute à la difficulté déjà grande de recruter des spécialistes dans les zones rurales.
La violence dans le nord-est a diminué depuis son pic il y a dix ans, et les grandes villes telles que Maiduguri, la capitale de l'État de Borno, ne sont plus le théâtre d'attentats-suicides ou de fusillades comme ce fût le cas par le passé.
Mais de vastes zones rurales échappent toujours au contrôle du gouvernement, et les attaques jihadistes, contre des populations civiles ainsi que contre des militaires, ont connu une recrudescence cette année.
Chaque jour vers 17 heures, l'armée ferme la route de 50 kilomètres qui relie Maiduguri à Magumeri, bloquant ainsi la circulation des médecins, des patients et des médicaments provenant de la capitale régionale, mieux équipée.
Même lorsque la route est ouverte, rien ne garantit qu'il n'y aura pas d'attaques.
"Ils installent un poste de contrôle et me disent que je dois attendre que les militaires dégagent la route pour avancer", explique Mohammed Bakura, un ambulancier sous contrat avec l'IRC qui fait souvent la navette entre les deux villes.
Il se souvient avec angoisse de la fois où des jihadistes ont tenté de voler sa voiture. Ce même jour, ils avaient attaqué la clinique de Magumeri.
Dans un village situé à la périphérie de Magumeri, entouré de vastes champs de sorgho et de haricots, Falmata Kawu, 30 ans, est assise dans une petite clinique où elle avait emmené sa fille Aisa l'année dernière.
La fillette de deux ans avait été transférée à l'hôpital de Maiduguri pour des complications liées à la malnutrition. La route était ouverte et elle a pu partir immédiatement, mais Aisa est décédée à l'hôpital.
S'il y avait moins de conflits et plus d'argent pour les services de santé, elle aurait pu faire soigner Aisa dans son village et "l'enfant aurait pu vivre plus longtemps", regrette-t-elle.
X.Vanek--TPP