
AEX
-3.3600
Sacré champion du monde du 800 m samedi à Tokyo, un an après son titre olympique, le Kenyan Emmanuel Wanyonyi a grandi dans l'extrême pauvreté avant que la course à pied lui permette de changer de vie.
"La course à pied m'a sauvé", répète souvent ce jeune Kényan de 21 ans, d'apparence réservé, devenu depuis l'été dernier la tête d'affiche d'une des disciplines les plus bouillantes de l'athlétisme.
Rien ne prédestinait pourtant Emmanuel Wanyonyi à être perçu un jour comme l'héritier logique de David Rudisha, son compatriote qui a établi en 2012 un record du monde fou dans la discipline en 2012 (1:40.91).
Né en 2004 dans un village au nord-ouest de Nairobi, Emmanuel Wanyonyi grandit dans l'extrême pauvreté, 5e d'une fratrie de 11 enfants, et le sport n'est pas envisagé comme une option.
A 10 ans, le jeune garçon arrête quelques années l'école et se met à travailler pour nourrir sa famille. Il devient berger, passe ses journées à s'occuper des bovins pour gagner quelques billets mais subit parfois l'exploitation de patrons malhonnêtes.
A 14 ans, alors qu'il a retrouvé les bancs de l'école, la situation économique de sa famille se dégrade encore plus quand son père meurt dans des circonstances jamais élucidées.
"Ce jour-là, mon monde s'est effondré, nous n'avons jamais vraiment tourné la page", raconte-t-il à la BBC.
- "Aider ma famille" -
Perturbé, il se met à courir après l'école et à rêver d'une carrière d'athlète, lui qui ne vient pourtant pas des hauts plateaux d'où sont originaires les stars du sport.
Un jour, la championne du monde 2007 du 800 m, Janeth Jepkosgei, remarque cet adolescent à la foulée impressionnante enchaîner les tours de piste, et le convainc de se consacrer au sport.
"J'ai commencé à courir parce que j'étais pauvre. Je me suis dit que je devais gagner pour avoir de l'argent et aider ma mère et mes frères et soeurs", soulignait-il fin août en conférence de presse.
Le jeune Wanyonyi montre vite l'étendue de son talent: en 2021, à 17 ans seulement, il décroche l'or sur le double tour de piste lors des Championnats du monde juniors, sa première compétition internationale. Un an plus tard, il découvre le niveau senior aux Mondiaux à Eugene, où il termine au pied du podium. Et en 2023 à Budapest, il décroche à 19 ans seulement l'argent mondial derrière le Canadien Marco Arop.
Tout s'accélère encore à l'été 2024. En juin, il pulvérise son record personnel de plus d'une seconde lors des sélections kényanes (1:41.70) pour rentrer dans une nouvelle dimension. En juillet au meeting de Paris, à l'issue d'une course qui restera longtemps dans les annales de la discipline, il abaisse encore son record (1:41.58) mais s'incline devant l'Algérien Djamel Sedjati, de quoi lui donner les crocs à quelques semaines des Jeux olympiques.
- "A mon tour" -
Dans le stade de France, Wanyonyi montre qu'il est le nouveau roi de la discipline en coupant la ligne en 1 min 41 sec 19, devenant le 3e meilleur performeur de l'histoire derrière David Rudisha (1:40.91) et le Danois Wilson Kipketer (1:41.11). Il rejoindra ce dernier, à égalité, quelques semaines plus tard en accélérant encore à Lausanne.
Le record du monde ? "Je ne suis pas le seul aujourd'hui à pouvoir le battre", estime avec humilité Wanyonyi, soulignant la concurrence extrêmement rude sur 800 m et rappelant le nouvel avantage donné par les pointes carbone.
N'empêche, c'est bien lui qui est vu comme le demi-fondeur amené à battre un jour ce record qui semblait pourtant hors de portée il y a deux ans.
"Nous sommes amis", a assuré fin août Wanyonyi à propos de David Rudisha, de 16 ans son cadet. "La dernière fois qu'on s'est vu, il m'a dit que c'était à mon tour de briller."
Q.Pilar--TPP